La première chose dont on se souvient de Till, c'était à quel point il était un bébé silencieux. Il attendit bien toute la nuit sur les marches du temple à Miðgarðr avant de se mettre à pleurer. Ça, on le sait parce qu'il fut recueilli le matin, encore humide des pluies de la veille, sans que personne ne se rende compte de sa présence.

Puis, grandissant avec les autres orphelins, Till était toujours aussi silencieux, si bien qu'on le cru infirme pendant un moment. Mais non, il ne disait rien parce qu'il préférait écouter, observer, apprendre. Mais lorsqu'il était sollicité, c'était un enfant très intelligent, habile, précis.
Il était élevé pour être prêtre, parce que c'étaient des prêtres qui l'avaient recueilli. Alors, il baignait dans le milieu sacré des croyances, des rituels et des traditions. Mais ce n'était pas son milieu, il n'était pas fait pour cela, parce qu'il était trop curieux. Parce que quand il s'y mettait, il posait trop de questions, parce qu'il n'était, après tout, absolument pas quelqu'un de spirituel. Son esprit était fermé aux complexités de la religion, malgré toutes les tentatives de ses tuteurs pour faire rentrer dans son petit crâne les secrets de la création du monde.

Lui, il voulait des preuves, il voulait savoir pourquoi un et un, ça faisait deux, et pourquoi du jaune et du bleu ça faisait du vert. Et les réponses sacrées étaient bien trop étranges pour le satisfaire.
Au fur et à mesure, ses interrogations progressèrent. S'il ne cherchait plus précisément à savoir pourquoi ceci, pourquoi cela, il essayait de trouver en quoi ceci-cela était utile. Et il voulait tout connaître, tout essayer. C'était peut-être là le comportement d'un enfant qui s'ennuyait énormément dans ce que l'on voulait lui apprendre, donc qui compensait avec d'autres sources de connaissances.

On reconnut alors assez facilement que Till n'était pas à sa place ici, qu'il fallait l'envoyer ailleurs. Alors on l'envoya chez un maître alchimiste qui le pris sous son aile. Almar, qu'il s'appelait. Il était, vieux, exigeant, mais très sage, incroyablement intelligent et débrouillard. Il n'acceptait d'habitude en tant qu'élèves que les meilleurs des meilleurs, mais son âge avançait, avançait, et il commençait à s'inquiéter de ne pas vivre assez longtemps pour pouvoir convenablement terminer la formation de son actuel apprentis. Il était exigeant, peut-être, mais envers lui-même encore plus, et n'accepterait pas d'abandonner un élève à la moitié de son entrainement.
Alors, exceptionnellement, au lieu de n'accepter que la crème de la crème des aspirants alchimistes, il accepta de prendre quelqu'un de déjà plus âgé, qui n'avait pas forcément beaucoup de connaissances, mais qui vivait pour devenir alchimiste, et qui ferait preuve de bien plus d'autonomie.
Et cette chance tomba sur Till.

La formation fut dure, longue, intense et parsemée de bien des nuits blanches. Mais elle en valait la peine. Till aimait apprendre, alors il apprenait, et Almar n'en demandait pas plus. Si les débuts furent difficiles, parce que la vieille peau avait ses habitudes, ses idées et ses exigences, Till ne demanda pas bien longtemps pour être à la hauteur de ce qu'attendait son professeur.

Et une dizaine d'années plus tard, qui passèrent bien vite, Till avait quasiment tout appris d'Almar, et Almar rendit son dernier souffle. Apaisé, prolongé, facilité par ce qu'il avait lui-même appris au dernier de ses élèves, il parti sans regrets, parce qu'il n'avait pas parfaitement terminé la formation de son ultime apprenti, mais qu'il lui avait donné les moyens d'y arriver seul, et de dépasser encore le niveau de son maître.

Till se retrouvait donc seul face au vaste monde des alchimistes, mais il avait un avantage : son nom de famille, d'adoption. Almarson. Il n'était pas le fils d'Almar, il n'était le fils de personne, mais Almar lui laissa ce nom parce qu'il n'en n'avait plus besoin, et que bénéficier de sa réputation pourrait certainement aider Till à l'avenir, avec ses recherches déjà en cours et la boutique qu'il lui léguait.

Ce fut donc plein de confiance en lui que Till s'aventura dans la cour du Jarl, pour tenter quelque chose auquel il avait pensé depuis bien longtemps, que tout le monde approuvait comme étant une bonne idée, surtout Almar, qui n'attendait que d'être validée, que d'être financée. Ce fut un moment impressionnant, accablant, que le discours du jeune apprenti alchimiste face à tout le gratin de Bjorn. On lui avait appris l'alchimie, clairement pas l'éloquence, mais l'on fut attentif à ce qu'il avait à dire. Et on lui accorda ce qu'il voulait, parce que Till savait ce qu'attendait la cour : un retour sur investissement.

L'idée était simple, mais efficace. La cour finançait ses voyages, et Till partait en exploration pour découvrir les nouvelles merveilles que le monde lui cachait encore. En échange, il découvrirait de nouvelles sources de revenu pour les nobles de Bjorn. C'était tout aussi simple.
Alors, puisqu'il pouvait se le permettre, Till mit quelqu'un d'autre en charge de la boutique qu'il avait hérité d'Almar, et se dirigea vers la mer, parce qu'il en avait, des choses à voir.